A ciel ouvert *

Mariana Otero

L'histoire

Au Courtil, on accueille des enfants psychiquement en difficulté. Le documentaire en suit quelques uns, ainsi que les adultes qui s'occupent d'eux.


Documentaire

Sorti

le 8 janvier 2014


La fiche allociné

 

 

La critique d'al 1

La conscience des fous

 

Qu'est-ce qui fait qu'on se retrouve un jour de vacances dans une salle de cinéma presque vide présentant un documentaire sur un "centre médico-pédagogique", un internat accueillant des handicapés mentaux, autistes, psychotiques, névrosés…alors qu'on est soi-même simple enseignant, en conséquence pas directement concerné par le problème ? La curiosité, une volonté de s'ouvrir l'esprit, la grande qualité de la plupart des documentaires que l'on voit au cinéma ? Bien sûr tout cela, oui, mais pas seulement.

Je sors ici de la simple critique de film…
Nous les maîtres d'école, depuis la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, sommes en première ligne pour l'intégration des handicapés dans le système scolaire "classique". Il est dit que c'est le président de l'époque, un grand menteur corrézien, qui a voulu cette loi, parce qu'ayant eu une fille anorexique et n'étant pas satisfait du sort réservé aux "inadaptés" dans la société en général, et dans les écoles en particulier.
Nous les maîtres d'école avons vu notre métier changer considérablement depuis cette loi. Nous voyons arriver dans nos classes des enfants autistes, des psychotiques et autres enfants "fous", comme on avait le droit de le dire il y a quelques décennies. Ils nous sont adressés le plus souvent sans que l'on nous dise ce qu'ils ont, secret médical oblige… Comme les enseignants spécialisés dans l'enfance en difficulté ont progressivement disparu, nous sommes à peu près seuls pour nous en occuper. Ah, pardon, il y a les AVS, ces Auxiliaires de Vie Scolaire, qui sont placés à temps partiel ou plus rarement à temps plein dans nos classes et qui sont là pour aider l'enfant handicapé, l'accompagner, gérer parfois son comportement violent ou très peu en accord avec une atmosphère sereine de travail… Ces AVS sont payés moins que des femmes de ménages (pardon, techniciennes de surface), restent vacataires, et partent dès qu'ils trouvent un emploi mieux rémunéré et plus stable. Ils sont recrutés sans formation, et ne commencent à en bénéficier qu'une fois en poste. Ces formations sont légères, en temps et en qualité… Nous avons parfois à gérer les AVS comme une surcharge de travail, une intrusion indélicate dans notre travail, nous devons parfois leur rappeler, en vain, d'être à l'heure, et de faire ce pourquoi ils sont employés. Heureusement, de temps en temps, un AVS se révèle être une perle, mais pour tout dire, au vu de la façon dont il est payé et considéré, c'est du bénévolat.
Tout cela pour dire que la donnée "élève handicapé" n'est pas tout à fait bien gérée par l'Education Nationale. Laissons de côté les euphémismes et disons-le franchement, la façon dont est appliquée cette loi dans les écoles est un foutage de gueule grandiose, un scandale monstrueux, qui transforme notre métier et le rend particulièrement stressant d'une part, et d'autre part met les enfants handicapés dans une position d'objet dérangeant, pas exactement de quoi pavoiser quant à "l'égalité des droits et des chances".
Je me suis retrouvé dans cette salle de cinéma, parce que, comme nombre de mes collègues, je me suis retrouvé, et me retrouverai encore face à des enfants en souffrance, en situation de handicap, manifestant leur différence bruyamment, avec des attitudes imprévisibles qui peuvent être au mieux seulement perturbantes, au pire dangereuses pour l'enfant lui-même et les autres élèves. Voir comment, dans un centre réputé pour son approche "douce", "psychanalytique", non "médicamenteuse", on essayait de soigner ces enfants, ou au moins de les accompagner, bien sûr c'est intéressant – le mot est faible - , c'est vital.

A l'issue de la projection, c'est un mélange d'émotion, de colère, de désarroi qui nous envahit. Nous sommes sortis la gorge serrée et un gros plein de désespoir pour l'avenir de l'Ecole. Non pas que le documentaire parle des enseignants, mais il montre d'abord l'incroyable encadrement de ces enfants dans le Centre : le plus souvent pris en charge seuls par un adulte, parfois mêmes par plusieurs, psychologues, médecins, infirmiers (difficile de comprendre dans le film qui est qui, et quelle est sa fonction), dans toutes les activités de la vie, des repas aux situations d'apprentissage, avec une grande diversité, une remise en cause permanente, et énormément de concertations autour de chaque enfant. Ensuite, on voit le temps qui passe, et la très grande lenteur de l'évolution de chaque malade, ainsi que les difficultés auxquelles sont confrontées toutes les personnes intervenant auprès des enfants.
Certains des élèves que nous avons eus ne semblent pas moins atteints que ceux qui sont montrés dans le documentaire. Au Courtil (le centre dans lequel a été tourné le film), les moyens humains sont considérables et le temps n'est pas compté. Dans nos écoles, nous sommes seuls, absolument pas formés et quand on dit seuls, on oublie – et ce n'est pas rien – que nous avons aussi entre vingt et trente autres enfants à gérer, avec toutes leurs différences de rythme, d'attitude, de communication, d'attente… Et au bout du compte, au bout de l'année, on évalue, on doit trancher, on exige un résultat, on espère un progrès, on comptabilise, et le temps passé est une donnée immuable. En sortant d'un tel film, on a l'impression d'avoir vu un autocar luxueux qui trimballe trois bambins à la vitesse d'un escargot alors que nous sommes au volant d'une 2CV en surrégime dont les passagers débordent de partout. Quel boulot de fou faisons-nous…

Impossible de voir ce documentaire en oubliant ce que nous sommes, enseignants démunis ici, mais ailleurs parents désemparés, psychologues en plein doute, éducateurs dépassés, décideurs écartelés… Impossible aussi d'émettre un avis tempéré, d'écrire quelques mots impartiaux, de se détacher du sujet, de ne regarder que l'objet filmique.

Juste un peu de lumière : le film n'est pas sans espoir, il y a des instants très drôles, d'autres très émouvants et plein de tendresse. Qui que vous soyez, si vous avez l'occasion, ne laissez pas passer cette prise de conscience à ciel ouvert.

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