Le Toni Musulin
campé par François Cluzet est un homme taciturne, un
taiseux pas souriant, gonflé de principes, un gars qui n'aime
pas que les choses ne soient pas comme il aimerait qu'elles soient.
Son rapport à l'argent n'est pas tout à fait simple.
Il déteste Gainsbourg parce que celui-ci, un jour, a brûlé
un billet de banque et que "ça ne se fait pas", il
vit chez sa compagne et ne participe pas aux dépenses du couple
mais (donc ?) il est capable de s'acheter une Ferrari dans une vente
aux enchères.
Il n'est pas très aimable, le bougre. Il n'est pas le râleur
sympathique tendance Bacri, ni l'ours charismatique tendance Gourmet...
Il n'a pas beaucoup d'amis, à vrai dire un seul, mais peut-on
appeler un ami avec qui il a un rapport de domination évident
? Il n'aime pas se faire emmerder, il parvient donc, en apparence,
à se blinder face aux tracasseries de la vie, parfois à
esquiver les inopportuns et lorsque ni le blindage ni l'esquive n'ont
été efficaces, il semble prêt à mordre,
à tout envoyer en l'air. Sauf que dans la réalité,
face à ce qui le dérange ou qui le détourne de
sa routine, il se retrouve étrangement décontenancé,
déstabilisé. Ses repères perdus, il a beaucoup
de mal à garder son apparence inébranlable. Un faux
dur ? Un homme qui au fond ne sait pas où il en est ? Un mystère
pour les autres et pour lui-même ? François Cluzet est
tout simplement fabuleux dans ce rôle, il parvient à
nous faire sentir la force apparente et la grande fragilité
intérieure, en jouant entre autres sur sa voix qui parfois
se brise et avec sa démarche terrienne, les pieds bien collés
au sol mais le regard qui se perd, au détour d'un mot qui semble
le défaire.
Le film est d'abord cela, le portrait d'un homme renfermé,
antipathique mais pas complètement : son côté
réfractaire à l'autorité nous le rend touchant,
on pourrait presque y trouver des motifs d'identification.
Puis il y a le casse, sans violence, sans arme, sans crissement de
pneus... Même s'il y a bien une certaine tension, une légère
inquiétude (les faits sont tout de même trop récents
pour qu'on ait pu oublier, il n'y a pas de véritable suspense),
ce qui retient l'attention, nous scotche à l'écran,
c'est toujours et encore cet homme, qui ne donne pas d'explications,
dont les agissements posent bien plus de questions qu'ils n'apportent
de réponses sur le passage à l'acte. Les autres acteurs,
Bouli Lanners et Corinne Masiero, sont à l'unisson, ils font
croire à la simplicité de leurs personnages. Au final,
à partir d'un sujet pas tout à fait passionnant, Philippe
Godeau a réalisé un film vraiment intéressant,
bien plus profond que la simple mise en images d'un fait divers.