Une nuit de tournage
Mercredi 8 décembre…
Ce n’est plus de mon âge… et pourtant, je viens
de faire une nuit blanche, un tour du cadran debout, je ne sais
plus si c’est le matin et quel jour sommes-nous vraiment.
Je viens d’assister à une journée (que dis-je,
une journée ; une soirée, une nuit, plutôt)
de tournage. Un vrai tournage, pas un truc d’amateur avec
une caméra vidéo qui cherche à se faire beaucoup
plus grosse qu’elle n’est…
La clause de confidentialité m’empêche de vous
dire de quel film il s’agit, et je ne pourrai pas non plus
vous citer les acteurs… Sachez qu’il s’agit de
l’histoire d’un riche aristocrate qui rencontre un jeune
de banlieue. Cela fait penser à un film datant de 20 ans,
avec Pierre Richard et Smaïn, "On peut toujours rêver".
L’impression a priori est de l’ordre à la fois
du déjà vu et de l’improbable, bien que le récit
soit inspiré de personnages réels.
Dès l’arrivée sur les lieux du tournage, c’est
la fascination qui l’emporte, les acteurs (connus), les techniciens,
l’invraisemblable accumulation de matériel, les ordres
lancés d’une voix forte, "silence, moteur, silence
(le mot le plus entendu…), ça tourne pour le son, silence
sur le plateau, on tourne, séquence 75 première, clap,
action…"
Les scènes sont tournées plusieurs fois, avec des
micro variantes, dans le texte, dans le cadre, des reprises sur
une réplique. Lorsqu’il y a besoin de plusieurs angles
de vue, les deux caméras changent de place et ça n’est
pas une mince affaire… parfois, pour quinze secondes qui apparaîtront
à l’écran, le travail de tournage paraît
durer une éternité. Certains s’ennuient, d’autres
pas, c’est une ruche où chacun s’affaire, ou
pas ! Ainsi, les musiciens ont été convoqués
à 15 heures 30, ils ne commenceront à jouer leur rôle
que passé minuit… D’autres, comme le premier
assistant ou l’ingénieur du son, ne s’arrêtent
pas une seconde.
Il faut bien dire que l’aspect technique l’emporte sur
tout le reste, on ne sent pas véritablement beaucoup de finesse
dans la direction d’acteurs, ni dans les intentions de mise
en scène…
Après la pause, le tournage reprend avec une scène-clé,
qui probablement sera sur la bande annonce, reposant sur un choc
de cultures, et celle qui l’emporte n’est pas ma préférée
(peut-on parler de culture, d’ailleurs… mais on ne va
pas entamer un débat qui risque d’en énerver
plus d’un). L’aspect technique est toujours fascinant,
le fond de l’histoire est consternant, effrayant de vacuité.
On touche au plus près la vulgarité ordinaire, celle
qui se manifeste non pas par un langage ordurier ou des sous-entendus
en dessous de la ceinture, mais celle qui repose sur le mépris
de l’autre, de ce qu’on ne prend même pas la peine
d’apprendre à connaître. Les musiciens présents
(des belles personnes, vraiment) ne sont pas ridiculisés
mais la scène qu’ils doivent subir est, d’une
certaine façon, humiliante, car elle touche une partie de
ce pourquoi ils vivent, leur passion profonde. Ils en ont probablement
vu et entendu d’autres, mais il peut y avoir de l’amertume
dans la façon dont leurs personnages de musiciens ont été
traités…
La nuit de tournage (on ne peut plus parler de soirée, c’est
presque le petit matin lorsque les caméras s’éteignent)
s’achève avec les morceaux de musique "classique",
déjà enregistrés, mais qu’il faut mettre
en images. L’ambiance se relâche, et dans les regards
et l’écoute de certains techniciens et figurants, il
y a de l’admiration, malgré le play-back, malgré
la fatigue…
Soirée, nuit inoubliable, bien sûr. Tout l’aspect
technique reste impressionnant de bout en bout, la maîtrise
professionnelle de chacun est indéniable. Les qualités
humaines, de respect et d’attention, semblent en retrait,
non pas qu’il n’y en ait pas chez tous ces faiseurs
de films, mais elles ne paraissent pas essentielles dans les rapports
qui s’établissent sur le plateau…
Est-ce que cela donne envie de changer de métier, de se plonger
dans les délices de la création cinématographique
? Pas sûr, mais il y a tout de même une réelle
excitation, des frissons, un regret de ne pas en être…
Un grand merci à Anne K et Philippe L, qui m’ont permis
de vivre cette nuit pas comme les autres, vraiment.