Quand Dieu est un garon

Serait-ce que celui qui tĠa aimŽ doit

(comme du reste tout homme - mme sĠil ne le sait pas)

pouvoir reconna”tre cožte que cožte la vie

ˆ tout instant ? La reconna”tre et non pas simplement

la conna”tre, ou se contenter de la vivre ?

Pier Paolo Pasolini[1]

 

QuĠavons-nous fait, ˆ dŽsencha”ner cette terre de son soleil ?

Friedrich Nietzsche[2]

 

Ë Bologne, le 28 novembre 2009, eut lieu une nouvelle Ždition du colloque Pasolini, sur le thme, cette fois, Ç Poesia di cinŽma È et ˆ laquelle, Dieu seul sait pourquoi, je fus invitŽ ˆ intervenir. Me trouvant alors au dŽbouchŽ de ce que fut lĠexploration puis lĠŽcriture de LĠAmour Lacan, jĠacceptai. Non sans crainte, car je nĠavais jusque-lˆ, sur lĠÏuvre de Pasolini que quelques aperus littŽraires et cinŽmatographiques, tandis que ceux qui mĠinvitaient en Žtaient de fins et Žrudits connaisseurs. Me plongeant autant quĠil Žtait possible dans cette Ïuvre abondante et protŽiforme, je me dŽcouvris bient™t hantŽ par Pasolini. Et cette hantise, loin de sĠapaiser, ne fit que cro”tre, cela quelle que soit lĠaide que purent mĠapporter certains de ses biographes et commentateurs. Pasolini me laissait sans voix; La hantise comporte-t-elle ce minimum dĠespace vacant qui permet de parler ?

Dante, Lacan, Pasolini

Selon Dante, nomina sunt consequentia rerum. Selon Lacan, nomina non sunt consequentia rerum. Selon Pasolini, res sunt nomina[3]. Il y a lˆ trois positions que leurs diffŽrences elles-mmes peuvent Žclairer.

Dante, tout dĠabord. Une fort belle Žtude dĠAndrŽ PŽzard[4], traducteur en 1965 pour la PlŽiade de La Divine ComŽdie, traque lĠorigine de lĠarticle de foi dantesque et Žtablit ainsi comment Dante en aura inflŽchi le sens et la portŽe. Il Žtait jusque-lˆ question des noms accordŽs aux choses, conception qui repose sur une thŽorie de la connaissance remontant ˆ Aristote et renouvelŽe par saint Augustin : dans lĠesprit se forment des images des choses ˆ la ressemblance des choses, lesquelles images sont ensuite reprises en des mots qui leur ressemblent[5]. Or, lˆ o il sĠagissait dĠun Ç simple È (Žtrange, en fait) accord mimŽtique des noms aux choses, Dante voit un rapport de consŽquence. Ainsi le nom mme de BŽatrice : la regardant, quiconque se trouve contraint ˆ en moduler les douces syllabes, cela sans jamais avoir su ce nom. Et un cercle sĠensuit, puisque les choses pourront aussi tre envisagŽes, voire crŽŽes, comme consŽquences des noms. Dante Žlve ainsi jusquĠˆ une mystique un problme ŽpistŽmologique[6].

Lacan para”t dire clairement non ˆ Dante : les noms ne sont pas des consŽquences des choses. Cela est dž ˆ rien de moins quĠau paradigme quĠil inventa en 1953, ˆ savoir le ternaire symbolique, imaginaire, rŽel, qui prend notamment acte du fait que le langage est lˆ prŽsent et isolable comme tel (ses ŽlŽments constitutifs nĠont le statut ni dĠimages ni dĠobjets) avant que quiconque vienne au monde ; de plus, linguistique structurale aidant, ce paradigme laisse dŽlibŽrŽment hors de son champ la question de lĠorigine du langage. Pourtant, Lacan reste plus nuancŽ, car, dit-il, il faut bien que soit Žtabli un certain rapport des noms aux choses car, sans cela, lĠanalyse ne saurait tre opŽrante sur les choses - ce quĠelle est, ˆ lĠoccasion, par exemple en levant un sympt™me.

Le res sunt nomina de Pasolini, qui renverse le nominalisme, dŽlaisse, lui aussi, la question de lĠorigine du langage. Les choses sont dĠemblŽe et comme telles langage, langage mais aussi parole, car elles sĠexpriment, sans pour autant perdre leur naturalitŽ. Et sans doute nĠy a-t-il aucune raison de se refuser le bonheur de citer ici en dŽtail ce truculent, humoristique et non moins sŽrieux dialogue avec Moravia et Bertolucci, mis en scne par Pasolini dans un texte intitulŽ Ç La peur du naturalisme È[7] :

Tout le monde prŽtend que le cinŽma est essentiellement naturaliste.

Moi-mme, jĠose dire en effet : Ç Si, ˆ travers le langage cinŽmatographique, je veux exprimer un porteur, je prends un vrai porteur et je le reproduis : son corps et sa voix. È

Alors Moravia se met ˆ rire : Ç Voilˆ, le cinŽma est naturaliste, comme tu peux le voir. Il est naturaliste, il est naturaliste ! Mais le cinŽma est image. Et cĠest seulement en reprŽsentant un porteur muet (bien) que tu peux faire du cinŽma non naturaliste en quelque sorte. È

Ç Pas du tout È, je rŽponds, Ç le cinŽma est ÒsŽmiologiquementÓ une technique audio-visuelle. Donc porteur en chair, os et voix. È

Ç Ah, ah, le nŽo-rŽalisme È, fait Moravia. È

Ç Oui, pour ma part, en faisant du cinŽma - non pas un de mes films - en faisant du cinŽma, si je dois exprimer un porteur, je lĠexprime en prenant un vrai porteur, avec son visage, sa chair et la langue dans laquelle il sĠexprime. È

Ç Ah non, lˆ tu te trompes È, cĠest Bernardo Bertolucci qui parle, Ç pourquoi faire dire ˆ un porteur ce quĠil dit lui-mme ? Il faut prendre sa bouche, mais dans sa bouche il faut mettre des paroles philosophiques (comme cĠest lĠhabitude de Godard, naturellement). È

En cette affaire du rapport des images et des mots aux choses, diversement modulŽe donc, la question posŽe est aussi celle de la rŽalitŽ. Pasolini : Ç La rŽalitŽ sĠexprime par elle-mme[8]. È Pasolini colle ˆ la rŽalitŽ (Lacan, lui, colle au savoir). Ce qui ne lĠempche pas de distinguer les registres, comme le fait Lacan, mais diffŽremment de ce dernier, avec, notamment, sa remarque quĠalors que le langage, fait de Ç lin-signes È (signes linguistiques), se laisse prendre dans un dictionnaire, les Ç im-signes È (images signes), eux, ne sĠy prtent pas. Et, comme chez Dante, il y a cercle chez Pasolini, car si le cinŽma sĠapproprie la rŽalitŽ, cĠest aussi que la rŽalitŽ est du cinŽma en nature[9]. La langue chiffrŽe de la rŽalitŽ et celle de la Ç dŽvorŽalitŽ È ou de lĠÇ Ïil-bouche È (noms pasoliniens de la camŽra) sont deux Ç langues frres È.

Un tel abord de la rŽalitŽ conviendrait plut™t bien ˆ Lacan, selon qui la rŽalitŽ est un Ç montage dĠimaginaire et de symbolique È. Ç Montage È, le mot est de lui. Et il nĠest pas exclu que les difficultŽs rencontrŽes par Lacan ˆ lĠendroit, justement, de la rŽalitŽ ainsi conue (elle f‰chait gravement certains de ses Žlves) nĠaient pas ŽtŽ dĠun autre ordre que celle ˆ laquelle avait affaire Pasolini dans son dialogue avec Moravia. Mais, rŽserve importante, Lacan distinguait la rŽalitŽ et le rŽel. Pasolini, lui, distingue diffŽrents ordres de rŽalitŽ. Et cĠest, on y viendra, exemplairement, ThŽorme.

Cependant, lĠisomorphisme, comme on peut sans doute lĠappeler, de la rŽalitŽ et du cinŽma, se dirige tout droit vers une difficultŽ, la mme dĠailleurs que celle ˆ laquelle ont eu ˆ sĠaffronter, en sĠinventant, les Žcritures non alphabŽtiques. De quoi sĠagit-il ? De la reprŽsentation des termes abstraits, des liaisons logiques ou encore des transcendantaux, si lĠon veut bien pardonner ce terme. Comme tout un chacun et en dŽpit de quelques figurations dŽsormais rŽpertoriŽes[10], Pasolini ne trouvait pas Dieu dans la rŽalitŽ, en tout cas pas ce Dieu de son enfance et au-delˆ, ce Dieu catholique interdit de reprŽsentation. Tout un ensemble de concepts, vŽhiculŽs dans chaque langue, nĠa pas de correspondant dans la rŽalitŽ et Freud lui aussi, dans son InterprŽtation des rves (que Pasolini a lue), eut affaire ˆ ce problme[11]. Comment, par exemple, cette Žcriture par image (Bilderschrift) quĠest le rve parviendrait-elle ˆ figurer par exemple lĠalternative (lĠou bien, ou bien), la nŽgation ou encore lĠimplication ? Mais enfin, la chose, en Occident, se joue spŽcialement ˆ propos de Dieu.

Pier Paolo Žtait footballeur (avant-centre[12]), et sans doute pas seulement sur les terrains quĠil frŽquentait. Il existe, dans le langage footballistique, un terme relatif ˆ une action que lĠon ne trouve pas dans tous les sports : Ç marquage È. On marque un joueur adverse, on se place tout ˆ c™tŽ de lui entre lui et le lieu o se trouve la balle ˆ lĠinstant t, on se dŽmarque de celui qui vous marque de faon ˆ rŽceptionner une passe. Pourquoi ce rappel ? Parce quĠun autre trait qui fait voisins Pasolini et Lacan est ce que jĠappellerai leur marquage du catholicisme. LĠun et lĠautre savent que lĠon ne se dŽgage pas si aisŽment que lĠon pense de la question de Dieu, par exemple en dŽclarant simplement un certain jour que lĠon nĠy croit pas, ou en croyant nĠy avoir jamais cru. Car on jette ainsi le bŽbŽ avec lĠeau du bain : en dŽlaissant Dieu, on perd la spiritualitŽ, le caractre sacrŽ de la rŽalitŽ, de lĠaction et de la vie.

SĠil reconnaissait avoir dŽpassŽ ce quĠil dŽsigne comme Ç la mythologie Ïdipienne È, Pasolini savait aussi nĠavoir pas Ç dŽpassŽ son ÒappartenanceÓ ˆ la mythologie chrŽtienne È[13]. Quiconque, dĠailleurs, aurait revendiquŽ un tel dŽpassement auprs de Lacan aurait ŽtŽ considŽrŽ par lui comme un sot. Ainsi suis-je conduit ˆ ThŽorme, dĠautant que Pasolini me facilite la t‰che en offrant sous ce nom et un film et un roman.

ThŽorme

ThŽorme opre (performe) une transmutation de la rŽalitŽ, et sans doute cet effet est-il en partie dž au fait que film et rŽcit provinrent eux-mmes dĠune transmutation dĠune pice en vers, Žcrite quelques annŽes auparavant. Je choisis ce terme plut™t que le trasumanar (transhumaniser) que Pasolini reprend de Dante, car cette humanisation est aussi bien une dŽshumanisation - comme lorsquĠon qualifie dĠ Ç inhumaine È une action qui, justement, est tout ce quĠil y a de plus humain. Cette transmutation opre non seulement chez les personnages qui vont, tous, ou plus exactement chacun, se laisser toucher par lĠh™te, subir son effet, mais Žgalement chez le spectateur du film et le lecteur du roman, car film et roman sont lĠh™te. Comme lĠh™te, ils sont, pour le spectateur ou le lecteur, des opŽrateurs de cette transmutation de la rŽalitŽ, dĠun Ç dŽpouillement È dont la teneur est dĠailleurs parfaitement explicitŽe dans Ç Ah ! mes pieds nus¼ È, lĠultime chapitre du livre :

Comme jadis pour le peuple dĠIsra‘l ou pour lĠap™tre Paul

le dŽsert se prŽsente ˆ moi comme la

seule chose qui soit, de toute rŽalitŽ, indispensable.

Ou, mieux encore, comme la rŽalitŽ

dŽpouillŽe de tout sauf de son essence

telle quĠon se la reprŽsente quand on vit, et que parfois,

on y rŽflŽchit, mme sans tre philosophe[14].

ThŽorme vous prend et vous conduit au dŽsert, fait du dŽsert votre rŽalitŽ, sans prŽoccupation aucune - comme il est exigible pour une telle opŽration - de la faon dont vous allez rŽagir une fois lˆ. Ainsi en va-t-il lorsque quelquĠun sĠadresse ˆ la libertŽ dĠautrui : nul ne sait o ni ˆ quoi ce geste conduira autrui. Voilˆ ce ˆ quoi je dois ma hantise. Et peut-tre est-elle due aussi et comme en arrire-fond ˆ Sigmund Freud qui, dans son ultime et si dŽcriŽ ouvrage (LĠHomme Mo•se et le monothŽisme), en prenant la suite de Mo•se, conduisait lui aussi son peuple au dŽsert.

Avec ThŽorme, je vais tenter de le montrer, Dieu, lĠirreprŽsentable Dieu, est mŽtonymiquement prŽsent sous la figure dĠun garon. Cette apparition Ç nimbŽe de ciel È[15], ce visiteur dont on ne saura rien[16], cet h™te, parce quĠil est Dieu, ne saurait tre nommŽ ; ainsi son nom, si nom il y a, est-il Ç cachŽ È sur le tŽlŽgramme qui annonce son arrivŽe - un tŽlŽgramme quĠapporte un angelot (une claire indication de la divinitŽ de lĠh™te). LĠh™te reste mme le seul innomŽ de ThŽorme puisque le pre, ˆ un moment trs prŽcis de son parcours subjectif, finit pas recevoir son peu innocent nom de Paul.

Cette divinitŽ de lĠh™te est cependant assez voilŽe pour que lĠƒglise, tiraillŽe entre condamnation et approbation, y ait perdu son latin : ˆ Venise, le film avait ŽtŽ primŽ par lĠOffice catholique international du cinŽma, ce qui nĠempch‰t pas ce mme ocic de sĠabstenir de le recommander aux familles chrŽtiennes, ni, plus tard, LĠOssevatore Romano dĠidentifier lĠh™te ˆ un dŽmon.

Ce que rŽalise lĠh™te reoit plusieurs noms qui sont autant dĠactions divines : exhortation, bŽnŽdiction, compassion, consolation, rŽconfort (cf. la longue citation de La Mort dĠIvan Ilitch, donnŽe aux pages 63 ˆ 65), bŽnŽdiction, rŽvŽlation, guŽrison, amour, destruction (de soi-mme, autrement dit du Ç vieil homme È paulinien). Conduisant chacun sur son chemin de Damas, lĠh™te ravit ˆ chacun cette rŽalitŽ faite dĠabsence de vie, faite dĠune vie lourdement confortable o lĠennui seul signait lĠinsidieuse prŽsence dĠune mort en quelque sorte pas ˆ sa place. SĠagissant dĠOdette, la fille, ce ravissement, aprs son dŽfinitif dŽpart, prendra la forme de celui de Lol V. Stein[17]. Il para”t devoir tre situŽ ˆ lĠopposŽ chez ƒmilie, la servante, la sainte[18], mais la saintetŽ nĠest pas moins prŽsente ici (ˆ lĠasile psychiatrique) que lˆ (ˆ la ferme). Elle y prend la forme dĠun poing rŽsolument fermŽ sur lĠabsence de trace quĠaura laissŽe sur un Ç index gracile È, lĠinstant dĠavant sa fermeture, la caresse portŽe sur le corps photographiŽ de lĠh™te, un geste Ç attentif, mais hŽsitant et puŽril, qui suit maladroitement le profil de la silhouette photographiŽe, jusquĠˆ en effleurer le ventre È[19]. La saintetŽ est non moins prŽsente encore dans ce cri que pousse Lucie, la mre, la femme, lorsque, sĠŽtant adonnŽe ˆ de jeunes m‰les, elle doit bien admettre, autre trait de la divinitŽ de lĠh™te, quĠaucun garon ne peut prendre la place de celui que sa chair a accueilli. Paul, le pre, le si peu mari, fera le mme douloureux constat, poussera, au final, mais en plus aigu, le mme cri, que souligne ˆ nouveau, dans le film, le Dies irae du Requiem de Mozart.

LĠh™te sŽduit-il ? Ou bien plut™t est-il sŽduisant sans tre un sŽducteur ? Il le semble, moyennant quoi jĠaccueillerai avec une certaine rŽserve la citation de lĠExode que le pre Lucio Settimio Caruso refilait ˆ Pasolini en rŽponse ˆ sa demande dĠÇ une phrase qui puisse exprimer lĠincarnation, lĠirruption violente de Dieu dans les affaires terrestres È : Ç Tu mĠas sŽduit, Seigneur, et je me suis laissŽ sŽduire[20]. È Ce point est dŽcisif : le jeune homme nĠa prŽcisŽment pas besoin de sŽduire pour sŽduire ; il nĠest pas dĠemblŽe un actant comme disaient, ˆ lĠŽpoque, certains linguistes (il ne dŽsire pas mais Ç se prte[21] È au dŽsir de chacun - prŽcision extrme de lĠŽcriture pasolinienne). Il ne lĠest pas plus que le vent, dans lĠimage rŽcurrente de paysages dŽsertiques parcourus de vents violents, pas plus que les nuages qui, eux aussi, couvrent partiellement de tels paysages et qui sont comme un vent en partie apaisŽ.

Pas plus que la libido, lĠŽnergie du dŽsir, le jeune homme nĠest le sujet du film, car ce sujet, autrement dit cet assujetti, est le pre, ainsi que lĠa Žcrit HervŽ Joubert-Laurencin, ce pre que ploie, quĠexemplairement plie la prŽsence, lĠaction de lĠh™te. Ç Dio fece quindi piegare il populo È : HervŽ Joubert-Laurencin a notŽ lĠŽquivoque de piegare, ˆ la fois Ç faire un dŽtour È - lĠexode - et Ç plier È[22]. Confirme cette remarque le fait que, dans le film, sur les treize plans dĠun vent balayant sauvagement le dŽsert, six sont rapportŽs au pre, ˆ Paul. Le premier de ces plans fait toile de fond au gŽnŽrique. Lu ˆ partir du dernier[23] o, cette fois, figure Paul nu comme un ver, rŽsonne (Requiem aidant) lĠabsence de Paul en son lieu : il ne savait pas Ç combien peut tre divin, tout simplement, son membre[24]. È LĠy voici maintenant enfin, au dŽsert, endeuillŽ de ce quĠil croyait tre, de la perte dĠune existence dont il ne savait pas quĠelle nĠŽtait pas la sienne et de lĠabsence de lĠh™te. ThŽorme incite ˆ un deuil, au deuil dĠune certaine rŽalitŽ et dĠun certain Dieu, qui va avec le deuil de tout lendemain[25].

SĠŽtonnera-t-on de ce que cette action de plier autrui relve dĠune Žrotique ? On apaisera quelque peu cet Žtonnement en le rŽfŽrant ˆ lĠexpŽrience que fit, tout jeune (il a trois ans et demi), Pier Paolo, celle dĠune attirance provoquŽe chez lui par le creux des genoux de jeunes garons avec leurs tendons raidis. Il y reconna”t aussi bien Ç un sentiment affectueux È, quĠil dŽnomme Teta-velata, et rŽfre ˆ ce quĠil a pu Žprouver pour le sein maternel[26], que Ç les premires morsures de lĠamour sexuel È. Il en prŽcise la teneur, parlant de Ç cette douceur terrible et anxieuse qui prend aux tripes et les consume, les bržle, les tord, comme une bourrasque chaude, dŽvorante, face ˆ lĠobjet de lĠamour. È Comme le confirment les bourrasques de ThŽorme, cĠest ce mme sentiment que provoque lĠh™te chez chacun de ceux qui lĠont accueilli. Les voici dŽsormais, par lĠh™te, pliŽs, mis ˆ genoux.

On pourra sĠen scandaliser : ne les rend-il pas souffrants, face ˆ ce qui se dŽrobe ? Mais sans doute y a-t-il lieu dĠenvisager la souffrance autrement quĠˆ partir du freudien Ç principe de plaisir È, autrement dit dĠabaissement de toutes les tensions ˆ un niveau qui serait le plus bas possible. Face ˆ ce qui se dŽrobe est un titre dĠHenri Michaux, et la premire page de ce texte vaut dĠtre citŽe, qui jette un autre regard sur la souffrance :

Je fis un jour, une chute. Mon bras, nĠy rŽsistant pas, cassa. Ce nĠest pas grand-chose quĠun bras cassŽ. CĠest arrivŽ ˆ plusieurs, ˆ beaucoup. Ce serait nŽanmoins ˆ observer bien. Cet Žtat que la fortune mĠenvoya avec ensuite quelques complications, je le considŽrai. Je pris un bain dedans. Je ne cherchais pas tout de suite ˆ rejoindre le rivage.

Les courageux, je sais, dans ces cas se dŽtournent plut™t. Par pudeur ? Par point dĠhonneur ? Par instinct ? (car la volontŽ dĠen sortir, et lĠespŽrance font de bonnes convalescencesÉ). Mais est-ce lˆ de lĠintelligence[27] ?

Michaux nĠest certes pas seul ˆ tenter dĠinstaurer un rapport ˆ la souffrance autre que de pur et simple Žvitement. Ainsi Imre KertŽsz :

Le bonheur tel que les hommes se lĠimaginent. Ils croient que le bonheur est lĠexact opposŽ de la souffrance ; leur bonheur est un bonheur qui exclut la souffrance. Pauvres malheureux[28] !

Par rŽfŽrence, cette fois, ˆ la Grce antique, on dirait que le jeune homme est ŽromŽnos, que, tel lĠŽromŽnos, il consent ˆ lĠacte, ˆ lĠacte qui vaut chaque fois Ç rŽvŽlation È (non pas Ç initiation È, laquelle supposerait une communautŽ quĠil nĠy a prŽcisŽment pas), cela sans pour autant tre le dŽsirant. Il advient comme objet du dŽsir de chacun, il cause ce dŽsir sans que cet effet, pourtant commun ˆ tous, fasse communautŽ (loin de lˆ, cette rŽvŽlation fait Žclater la famille mais aussi le rapport ma”tre servante). Ainsi lĠh™te nĠest-il jamais celui qui regarde en premier : par chacun, il est dĠabord regardŽ, dĠun regard Ç lourd dĠŽmoi et de puretŽ[29] È, et ne regarde chacun toujours quĠen rŽponse ˆ un regard qui fut portŽ sur lui. LĠh™te est un regard qui ne voit pas, mais qui est regardŽ, qui ne voit quĠaprs avoir ŽtŽ regardŽ. On peut mme prŽciser : un regard bleu, celui que peint Pierre, le fils, en le mutilant, celui qui fait dŽfaut au troisime jeune homme que rencontre Lucie mais quĠelle retrouve dans la statue du Christ, celui qui est prŽsent dans les larmes dĠƒmilie, celui du jeune homme que Paul rencontre ˆ la gare de Milan, puis retrouve dans le bleu du ciel au dŽsert. Ce bleu vaut puretŽ. Ce regard pur est un pur regard[30].

Cependant, certes appelŽe par le fait que Pierre, lise Le Banquet aprs le dŽpart de lĠh™te, cette rŽfŽrence ˆ lĠAntiquitŽ grecque voit sa portŽe limitŽe, car la situation est ici inversŽe, et inversŽe Žgalement par rapport au jeune Pasolini enseignant dans le Frioul : lĠenseignement nĠest pas offert par lĠŽrastŽs ˆ lĠŽromŽnos, comme, usuellement, en Grce antique. Il est celui de lĠŽromŽnos, non pas de sa parole (on a notŽ ˆ quel point le film Žtait muet, et le roman nĠoffre que fort peu de dialogues) mais de sa prŽsence ; il enseigne par ce quĠil est et, mais cĠest tout un, par ce quĠil fait (langage dĠaction), non par ce quĠil dit. Son silence, quant on lui parle, vaut celui de lĠanalyste, tout au moins lorsque lĠanalyste sait se taire ˆ propos.

Tour ˆ tour, un par un, chacun des membres de la famille bourgeoise o il est en visite tombe dans cette sŽduction, en accuse le coup, tandis que lui ne se dŽrobe pas ˆ lĠacte qui sĠensuit - un acte ˆ peine suggŽrŽ, dĠailleurs, cela est ˆ noter, et pour cette raison, ˆ mon avis, quĠil sĠagit de nĠen pas rŽduire la puretŽ dans lĠesprit de spectateurs et de lecteurs habitŽ par la conception selon laquelle faire lĠamour est sĠabaisser, est plier (le pli, chez Pasolini, comme il a ŽtŽ dit, est ailleurs). Chacun est ainsi appelŽ, ou plus exactement contraint, ˆ ne plus nŽgliger le caractre sacrŽ de la vie, un sentiment Ç enracinŽ au centre de la vie humaine È, prŽcise Pasolini dans un entretien avec Jean Duflot[31], un sentiment quĠil dit aussi tre celui qui rŽsiste le moins bien ˆ la profanation du pouvoir, spŽcialement celui de lĠƒglise. LĠŽrotique est une spiritualitŽ, la spiritualitŽ une Žrotique - cela tout ˆ fait hors lĠempire, aujourdĠhui plus dŽterminant que jamais, de la Ç fonction psy È (Michel Foucault).

Cette connaturalitŽ du spirituel et du charnel nĠest nullement contredite par le caractre fabuleux du film et du roman ; elle est en elle-mme fabuleuse au sens o Michel de Certeau a pu parler de Ç la fable mystique È. Ici aussi, on dira Ç fable È car, Pasolini le note, tout ce qui se passe a lieu en un seul moment (ce qui est impossible dans la Ç rŽalitŽ È) mais aussi parce quĠaucun humain nĠa jamais eu la capacitŽ de baiser tous les membres dĠune mme famille, lĠŽrotique de chacun restant maintenue dans de bien plus Žtroites limites. Cependant, lˆ nĠest pas la question, car lĠinceste, justement identifiŽ ˆ la rŽalitŽ (au rŽel, dirait ici Lacan), largement convoquŽ dans les pomes bouclant la premire partie du roman, nĠest pas interdit, mais, ainsi que lĠa relevŽ Lacan, impossible (lĠimpossible est ce qui, chez Lacan, dŽfinit le rŽel). Il fallait donc baiser tout ce petit monde pour que soit rendue manifeste cette impossibilitŽ[32]. Son intervention accomplie, lĠh™te sĠen va, laissant chacun ˆ une solitude enfin acquise et dŽsormais occupŽe ˆ ne plus pouvoir passer outre le caractre sacrŽ de la vie.

DĠun nouveau Dieu

Je voudrais interroger pour conclure le statut divin du jeune homme, ou, pour mieux dire, la possibilitŽ de ce statut au mitan du xxe sicle. Est-il Dieu, ainsi que je lĠai dĠemblŽe avancŽ sans encore avoir pris acte que la chose Žtait claire dans lĠesprit de Pasolini ? Alors que sa figure est si prŽgnante chez Pasolini, il ne sĠagit pas ici de JŽsus-Christ : lĠh™te ne se sacrifie pas. Pas du pre non plus, la place est prise par ce pre qui, aprs avoir renoncŽ ˆ la ma”trise (ˆ tre un patron), nĠa que faire du manteau de NoŽ. Le jeune homme serait-il lĠEsprit saint ? Dans un entretien pour La Quinzaine littŽraire, Pasolini lĠappelle Ç le messager de Dieu È, dont les interventions, qui mettent chacun en crise, nĠapparaissent, ˆ certains yeux, pas moins scandaleuses que celles de JŽsus. Serait-ce lˆ sa divinitŽ ? Un Esprit saint (Holy Ghost) sŽparŽ du fils et du pre, autrement dit hors dogme trinitaire ? InnommŽ, il peut tre aussi bien le vent, le souffle, lĠesprit, la lumire (ph™s est une des manires, et la plus frŽquente, de dŽsigner lĠhomme dans Homre[33]), la poŽsie, mille choses ou actes encore.

QuĠil soit phallophore ne contrevient certes pas ˆ cette identification du jeune homme ˆ lĠEsprit saint. LĠEsprit saint est, comme on le sait, le Ç consolateur È, et il nĠest pas un seul des tres qui sĠavance vers lui auquel il nĠapporte sa consolation. Ainsi quĠil est Žcrit dans le roman, ce jeune homme est la Ç prŽsence consolatrice[34] È elle-mme. Mais une prŽsence sans permanence, une prŽsence strictement rŽduite ˆ un ŽvŽnement, car le temps nĠest plus celui quĠaurait instaurŽ dans la durŽe une Pentec™te. En espagnol, consolador est un des noms du godemichŽ. Le phallus nĠest pas le pŽnis et nĠest pas non plus ce que croient ceux qui dŽnoncent le phallocentrisme[35]. Et la consolation non plus nĠest sans doute pas ce que lĠon croit, sĠil est vrai quĠelle Žveille les morts vivants qui ne se savent pas morts, son intervention, certaines circonstances Žtant Žtablies (on croit mener une vie normale, on ignore ce que sait le pote, que cette normalitŽ est une maladie), se prŽsente comme un ravage ou encore, comme on lĠa dit, une Ç corruption È. Revoici la transmutation de la rŽalitŽ.

Pasolini Žtait averti de ce quĠavait de relatif lĠannonce de la mort de Dieu ; mais aussi de ce que le paganisme, cette invention chrŽtienne, ne dŽgage personne du christianisme. La mort de Dieu fut dĠabord proclamŽe par Jean Paul (Paul, encore !) et Heine, puis reprise ˆ Heine par Nietzsche, qui fait de Kant le vŽritable meurtrier de Dieu. Kant a anthropologisŽ Dieu, en a fait un postulat de la raison pratique en pensant la religion dans les limites de la simple raison. Nietzsche prend acte de la faiblesse de ce Dieu moral kantien, mais ce nĠest pas pour proclamer, de lˆ, lĠabsence de tout Dieu, loin sĠen faut ; cĠest, au contraire, au nom dĠune tout autre expŽrience du divin, dont le lieu est parfaitement dit avec lĠexpression Ç par-delˆ le bien et le mal È et dont la teneur est rendue sensible par les amours de Dionysos et dĠAriane. Barbara Stiegler, dans un trs remarquable article sur lequel je prends ici un large appui, remarque que Ç la plupart des commentateurs, confirmant les premires rŽceptions de la mort de Dieu, font pourtant lĠimpasse sur le nouveau dieu et ses amours avec Ariane[36]. È La mort de Dieu ouvre lĠespace dĠun nouvel amour, qui nĠest plus celui du Pre pour le Fils. Pasolini ne fait pas cette impasse. LĠh™te de ThŽorme, incarnation sĠil en est du Ç nouvel amant È nietzschŽen, est Dionysos aimant une humanitŽ (hommes et femmes) dŽnommŽe Ariane.

Son incitation nietzschŽenne au dŽsert mĠatteint, la hantise quĠelle installe chez moi, lecteur et spectateur lambda, en est la preuve. Ce dieu garon sĠen est allŽ, quĠŽtonnŽ je me surprends avoir accueilli.



[1] ThŽorme, traduit de lĠitalien par JosŽ Guidi, Paris, Gallimard, 1978, p. 102. On ne peut mentionner la rŽfŽrence bibliographique de cet ouvrage sans signaler ˆ quel point le texte en quatrime de couverture, censŽ en vanter les mŽrites, le maltraite. En effet, on a osŽ Žcrire quĠÇ il est permis de voir aujourdĠhui È (entendez : maintenant que Pier Paolo Pasolini est dŽcŽdŽ) [É] un moment privilŽgiŽ du drame intŽrieur que Pasolini aura peut-tre cherchŽ sa vie durant ˆ conjurer [É] (entendez : cĠŽtait son problme, son Ïuvre est tout entire rŽductible ˆ sa psychologie - assertion dont la violence est explicite dans le faussement prudent Ç peut-tre). È

[2] Le Gai savoir, in Îuvres compltes, t. V, Textes et variantes Žtablis par G. Colli et M. Montinari, traduit de lĠallemand par Pierre Klossowski, Paris, Gallimard, 1967, p. 137.

[3] Titre dĠun des textes publiŽs dans LĠExpŽrience hŽrŽtique. Langue et cinŽma, prŽface de Maria Antonietta Macciocchi, traduit de lĠitalien par Anna Rocchi Pullberg, Paris, Payot, 1976.

[4] AndrŽ PŽzard, Ç Nomina sunt consequentia rerum È, LĠunebŽvue, nĦ 21, Paris, janvier 2004.

[5] Ds son Žtude sur lĠaphasie, en 1891, Freud, en stratifiant ce quĠil invente sous le nom dĠÇ appareil de langage È, rompt avec cette conception continuiste.

[6] Ainsi en va-t-il de lĠamour : Ç Le nom dĠAmour est si doux ˆ ou•r, quĠil me para”t impossible que son action propre, en la plupart des choses, ne soit toute douceur, comme ainsi soit que les noms rŽpondent aux choses nommŽes, selon quĠil est Žcrit : nomina sunt consequentia rerum. È

[7] P. P. Pasolini, LĠExpŽrience hŽrŽtique, op. cit., p. 220.

[8] Ibid., p. 101.

[9] Ibid., p. 168.

[10] Franois BÏspflug, Dieu et ses images. Une histoire de lĠƒternel dans lĠart, Paris, Bayard ƒditions, 2008.

[11] Cf. Littoral, nĦ 2, Ç La main du rve È, octobre 1981. TŽlŽchargeable sur le site des Žditions Epel : http://www.epel-edition.com.

[12] PhotographiŽ comme tel (cf. HervŽ Joubert-Laurencin, Pasolini, portrait du pote en cinŽaste, Cahiers du cinŽma, 1995, premire photo en cahier hors-texte, non paginŽ).

[13] Interview ˆ propos dĠEdipo R, Propos recueillis au magnŽtophone et traduits de l'italien par Jean-AndrŽ Fieschi, Cahiers du cinŽma, nĦ195, novembre 1967, p. 13.

[14] P. P. Pasolini, ThŽorme, op. cit., p. 185. On peut aussi entendre, dans La rabbia, une autre et non moins mystique dŽfinition de la rŽalitŽ.

[15] Ibid., p. 46.

[16] Ibid., p. 25.

[17] Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, Paris, Gallimard, 1964.

[18] Elle seule trouve un substitut, la trinitŽ elle-mme (elle fait le signe de croix), mais ce substitut est tournŽ vers un catholicisme rŽvolu.

[19] P. P. Pasolini, ThŽorme, op. cit., p. 119. On mesure le non-sens psychiatrique qui, en lĠoccasion, parlerait savamment de Ç catatonie È. Il nĠempche, ce non-sens tente quelque chose, une naturalisation des phŽnomnes ainsi incorporŽs en une discipline qui doit, pour cette opŽration constituante, Žcarter ce sacrŽ que Pasolini dŽfinissait comme sa propre incapacitŽ ˆ voir la naturalitŽ dans la nature.

[20] CitŽ dans H. Joubert-Laurencin, Pasolini, portrait du pote en cinŽaste, op. cit., p. 195. La citation est donnŽe telle quelle dans le film, Žgalement dans le livre.

[21] P. P. Pasolini, ThŽorme, op. cit., p. 30.

[22] La traduction de pioppo par Ç peuplier È (peut plier) apporte de lĠeau ˆ ce moulin. Dans le film, ces peupliers sĠopposent aux poteaux Žlectriques, eux aussi trs prŽsents. Ils ne font pas partie dĠune mme rŽalitŽ mais de deux diffŽrentes. Sur le Ç plier È on pourra se reporter avec profit aux remarques de Gloria Leff dans Portraits de femmes en analyste (Paris, Epel, 2009), o est convoquŽ le jeu du plier et du sŽduire dans la comŽdie dĠOlivier Goldsmith She Stoops to Conquer et¼ dans lĠexercice analytique.

[23] HervŽ Joubert-Laurencin rŽfre ce dernier plan au pome Ç LĠŽtranger È de Baudelaire : Ç Qui aimes-tu le mieux, homme Žnigmatique, dis ? Ton pre, ta mre, ta sÏur ou ton frre ? / - Je n'ai ni pre, ni mre, ni sÏur, ni frre. / -Tes amis ? / - Vous vous servez lˆ dĠune parole dont le sens m'est restŽ jusqu'ˆ ce jour inconnu. / -Ta patrie ? / - J'ignore sous quelle latitude elle est situŽe. / - La beautŽ ? / -Je lĠaimerais volontiers, dŽesse et immortelle. / - LĠor ? / - Je le hais comme vous ha•ssez Dieu. / - Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire Žtranger ? / - J'aime les nuages... les nuages qui passent... lˆ-bas... lˆ-bas... les merveilleux nuages ! È Voir, de Pasolini, le film Che cosa sono le nuvole ?

[24] P. P. Pasolini, ThŽorme, op. cit., p. 94.

[25] Ibid., p. 102. Selon ce quĠelle dŽclare elle-mme, Lucie accueille la proposition de lĠh™te comme une exhortation, via lĠinceste, ˆ Ç mettre la vie hors dĠelle-mme, / pour la maintenir, une fois pour toutes, en dehors de tout ordre et de tout lendemain, / faisant de tout ceci la seule norme rŽelle È. Cet Ç hors de tout lendemain È reste plus que jamais dĠactualitŽ (cf. Lee Edelman, No future, Queer Theory and the the Death Drive, Durham, Duke University Press, 2004, ainsi que mon ouvrage Contre lĠŽternitŽ, Paris, Epel, 2009).

[26] Enzo Siciliano, Pasolini. Une vie, Traduit de lĠitalien par Jacques Joly et Emmanuelle Genevois, Paris, ƒd. de la DiffŽrence, 1983, p. 46.

[27] Henri Michaux, Face ˆ ce qui se dŽrobe, Paris, Gallimard, 1975.

[28] Imre KertŽsz, Journal de galre, trad. du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, Arles, Actes Sud, 2010, p. 132 (Žgalement p. 129).

[29] P. P. Pasolini, ThŽorme, op. cit., p. 61. LĠacte sexuel qui sĠensuivra ne sera pas moins pur, et on versera ici au compte fort bien pourvu de la btise (Jacques Brel) lĠidŽe selon laquelle baiser contrevient ˆ la puretŽ.

[30] HervŽ Joubert-Laurencin me signale que ce bleu est celui de Chagall, et Mayette Viltard quĠil sĠagit aussi de ce bleu quĠentourent les boucles de Ninetto, ange-Chagall.

[31] CitŽ par Norberto Gomez dans un remarquable Ç Pasolini, y su ÒTeoremaÓ de excepci—n È, accessible sur http://biopoliticayestadosdeexcepcion.blogspot.com/2009/10/pasolini-y-su-teorema-un-problema-de.html. Dans la seconde partie de cette Žtude, lĠauteur rapproche et Žclaire lĠun par lĠautre, avec grand profit, lĠextŽrioritŽ de lĠh™te au regard de la famille quĠil visite et le texte Ç La pensŽe du dehors È de Michel Foucault.

[32] Ce point sĠŽcarte de la remarque de Pasolini selon laquelle Ç ThŽorme est un film o l'inceste est multipliŽ au moins par cinq, et se trouve mlŽ ˆ l'idŽe de Dieu, car la personne avec laquelle les cinq membres de la famille commettent l'inceste est tout simplement Dieu : ces thmes du divin et de l'inceste qui se trouvent au cÏur de ThŽorme ont redonnŽ vie ˆ Edipo, qui s'est imposŽ ˆ ma ÒfantaisieÓ [fantasia, Ç imagination È], et que j'ai tournŽ en prioritŽ È (Interview ˆ propos dĠEdipo R, Cahiers du cinŽma, op. cit.).

[33] Je dois cette remarque ˆ Barbara Cassin qui prŽcise en outre que lĠon traduit par Ç mortel È alors quĠauraient pu convenir Ç enluminŽ È, Ç allumŽ È, Ç lumineux È, Ç illuminŽ È (Ç Dieux, Dieu È, Critique, nĦ 704-705, janvier-fŽvrier 2006).

[34] P. P. Pasolini, ThŽorme, op. cit., p. 101.

[35] Un homme sĠen va consulter Freud ; il souffre de masturbation compulsive. Il conte ˆ Freud les rŽcits Žrotiques qui accompagnent son geste et le mnent ˆ lĠorgasme. Freud sĠabstient de les commenter (il ne dispose pas dĠassez dĠŽlŽments littŽraux connexes ˆ ceux du rŽcit) mais lui rŽpond cependant : Ç Il ne fait aucun doute que vous prenez les choses en main. È Voici le phallus : les choses. Pasolini, quant ˆ lui, disait fŽtichisŽe la rŽalitŽ, parlait dĠÇ un amour hallucinŽ, enfantin et pragmatique pour la rŽalitŽ È ou dŽclarait que Ç seul ce qui est mythique est rŽaliste È (des propos souvent citŽs).

[36] Barbara Stiegler, Ç RŽceptions de la mort de Dieu È, Critique, nĦ 704-705, janvier-fŽvrier 2006, p. 121.