Vincent P. vs James B.

 

Vincent P, ça vous dit kekchoz ? Le ministre de l'Education, qui représentait à lui tout seul la principale raison pour laquelle j'ai voté Hollande, en mai dernier… Vincent P et ses convictions, sa volonté de vraiment changer les choses, de faire avancer le mammouth… Et donc, comment dire… Il y a de la déception dans l' air, peut-être même de la trahison, mais on n'en est pas encore tout à fait là, on va attendre de savoir comment va se passer la rentrée prochaine, quels seront les changements effectifs, les nouveaux moyens…
Pour patienter, pour rigoler (mais pas que), un texte sur un blog du Monde, drôle, cinématographique et décalé, qui m'a bien fait rire (mais pas que, je me répète).
C'est signé Mara Goyet, enseignante en Histoire Géo en collège, mais elle pourrait être maîtresse d'école, elle dirait les mêmes choses…

 

Même James Bond ne valide plus ses compétences (c’est dire …)
(attention, ça va spoiler !)


Bond. James Bond. Même lui ! Quand il s'agit de valider les 10 compétences du métier d'agent secret, il échoue lamentablement. Souffle court. Alcoolisme. Problèmes psychologiques en pagaille. Réflexes nuls. Et pourtant, on le renvoie sur le terrain. Avec succès. James, fort, quand même, de son attachement au socle commun de l'Intelligence secrète, agit avec brio, tact et intuition. Avec sensibilité même (ah, cette petite larme à la [biiiiiiiiiiiiiip] de [biiiiiiiiiiiiiiiip]) (je cède aux pressions d'Interspoil, maintenant je considère que vous êtes prévenus !)

Pour tous ceux qui, après avoir parcouru les dix compétences du métier d'enseignant désormais requises, se demandent, comptant avec angoisse sur leurs doigts étiques rongés par la craie, s'ils seraient aujourd'hui titularisés, Skyfall apporte une réponse sans appel et toute en nuances : tout ça, c'est des conneries. Le terrain, l'intuition, la juste intelligence, le savoir, le goût, l'art, voilà qui font le prof. Le film triomphe au Box Office et il est à craindre que la jeunesse se mette, elle aussi, à considérer avec circonspection le Livret de compétences auquel on la soumet. Le moment est historique, les forces de résistance de l'enseignement français ont rejoint celles du divertissement commercial : le livret n'y survivra pas.

Nul n'aura manqué, à ce titre, de remarquer que le dernier James Bond est entièrement consacré à la question scolaire. Métaphorique de bout en bout, Skyfall évoque les doutes et les maux qui nous taraudent, les questions qui nous divisent.

1) James aime ses vieux gadgets, sa vénérable Aston Martin, ses trucs en plumes d'autrefois. En somme, il préfère la ronéo et le compas à craie au tableau numérique interactif . Si, d'un point de vue sentimental, on le comprend, si le film lui donne plutôt raison, on peut néanmoins considérer qu'il en fait un peu trop, qu'il se caricature lui-même et que ce n'est pas avec de l'encre violette que l'on va sauver l'école. Pas plus qu'avec le télégraphe ou twitter d'ailleurs.

2) James n'aime pas les blancs-becs qui lui expliquent la vie (le nouveau Q) : "la jeunesse ce n'est pas l'innovation". Nous non plus : le prof à clef USB diligenté par l'inspection qui vous initie (vous rééduque en fait) au salut par les TICE tout en peinant à brancher le vidéo projecteur, c'est gonflant.

3) Le MI6 ne se bat plus contre des ennemis lointains (russes, chinois) mais contre lui-même. Il est tout entier absorbé par la question de son propre fonctionnement. L'Education nationale est elle-même sans cesse davantage préoccupée par sa propre organisation, ses procédures de validation, son encadrement des personnels (qui, lassés par les vexations et les abandons successifs peuvent devenir très méchants), ses fiches projets, ses protocoles que par ses ennemis traditionnels (l'ignorance, l'échec scolaire, la violence)

4) M le dit et le redit : on se bat contre des ombres. La fumée, la nuit, le "fog" envahissent le film. Nous-mêmes, nous sommes pas mal dans le brouillard. Le bon sens tend à devenir la chose la moins partagée dans la maison. Nous errons de décisions arbitraires en solutions incongrues. L'euphémisation bureaucratique sert alors de fumigène. Nous avançons obscurs, à travers l'ombre, dans la nuit solitaire comme dirait la double hypallage virgilienne (je tente de remonter le niveau culturel).

5) Skyfall ne cesse d'insister sur le délétère effet "chef du MI6". On aura compris... Qui n'a pas pensé qu'en envoyant une grande partie de la hiérarchie de l'Education nationale se promener dans les landes écossaises, on serait plus peinards, peut-être même plus performants et efficaces ? Le film se termine par une note d'espoir : un nouveau chef peut être prometteur et avoir le bras cassé.

6) Comme nous, Bond subit une sévère baisse de son pouvoir d'achat . Il passe son temps à siroter de la bière et délaisse Martini et Bollinger. En ce qui nous concerne, nous trouvons que le café de la machine atteint des prix exorbitants.

7) La James Bond girl est vite consommée, vite expédiée. 20 % des professeurs se disent en plein burn out. La libido docendi, comme la libido tout court, est en berne en salle des profs.

8) La Premier ministre passe un terrible savon à la patronne du MI6. Le passage est sans doute inspiré du recadrage de Vincent Peillon par Jean-Marc Ayrault à propos de la dépénalisation du cannabis. "Boys with toys" comme disait la James Bond girl dans Goldeneye.

9) Le générique du film est pas mal mais sans plus. Nous, on a eu la chronobiologie et la morale laïque. C'était encore moins sexy. Et sans musique.

10) La refondation du MI6 passe par l'explosion. Réjouissons-nous de notre modération.

11) Les profs de France ne reçoivent pas un chien en faïence de la part du Ministre. C'est une bonne chose. Savourons notre chance.

12) Le cyanure délivré aux agents ne fonctionne pas. Sur le site dédié aux enseignants et à leur carrière (i-prof), il est impossible de cliquer sur "démission" (c'est pourtant proposé). Le lien est rompu ou inactif.

Bref, comme le chante si bien Adèle, " This is the end, Hold your breath and count to ten (i.e compétences), Feel the earth move and then, Hear my heart burst again". Haut les coeurs !

 

Bon, j'avoue que les paroles de la chanson en anglais auraient pu être traduites, parce que malgré mon statut d'enseignant multi-trucs (dont l'anglais, pffff je me marre), j'ai pas tout bien compris. Mais ça doit pas être très joyeux. On se prépare des lendemains qui ne chantent pas, dans les écoles…