Même
James Bond ne valide plus ses compétences (c’est dire
…)
(attention, ça va spoiler !)
Bond. James Bond. Même lui ! Quand il s'agit
de valider les 10 compétences du métier d'agent secret,
il échoue lamentablement. Souffle court. Alcoolisme. Problèmes
psychologiques en pagaille. Réflexes nuls. Et pourtant, on
le renvoie sur le terrain. Avec succès. James, fort, quand
même, de son attachement au socle commun de l'Intelligence
secrète, agit avec brio, tact et intuition. Avec sensibilité
même (ah, cette petite larme à la [biiiiiiiiiiiiiip]
de [biiiiiiiiiiiiiiiip]) (je cède aux pressions d'Interspoil,
maintenant je considère que vous êtes prévenus
!)
Pour tous ceux qui, après avoir parcouru les dix compétences
du métier d'enseignant désormais requises, se demandent,
comptant avec angoisse sur leurs doigts étiques rongés
par la craie, s'ils seraient aujourd'hui titularisés, Skyfall
apporte une réponse sans appel et toute en nuances : tout
ça, c'est des conneries. Le terrain, l'intuition, la juste
intelligence, le savoir, le goût, l'art, voilà qui
font le prof. Le film triomphe au Box Office et il est à
craindre que la jeunesse se mette, elle aussi, à considérer
avec circonspection le Livret de compétences auquel on la
soumet. Le moment est historique, les forces de résistance
de l'enseignement français ont rejoint celles du divertissement
commercial : le livret n'y survivra pas.
Nul n'aura manqué, à ce titre, de remarquer que le
dernier James Bond est entièrement consacré à
la question scolaire. Métaphorique de bout en bout, Skyfall
évoque les doutes et les maux qui nous taraudent, les questions
qui nous divisent.
1) James aime ses vieux gadgets, sa vénérable Aston
Martin, ses trucs en plumes d'autrefois. En somme, il préfère
la ronéo et le compas à craie au tableau numérique
interactif . Si, d'un point de vue sentimental, on le comprend,
si le film lui donne plutôt raison, on peut néanmoins
considérer qu'il en fait un peu trop, qu'il se caricature
lui-même et que ce n'est pas avec de l'encre violette que
l'on va sauver l'école. Pas plus qu'avec le télégraphe
ou twitter d'ailleurs.
2) James n'aime pas les blancs-becs qui lui expliquent la vie (le
nouveau Q) : "la jeunesse ce n'est pas l'innovation".
Nous non plus : le prof à clef USB diligenté par l'inspection
qui vous initie (vous rééduque en fait) au salut par
les TICE tout en peinant à brancher le vidéo projecteur,
c'est gonflant.
3) Le MI6 ne se bat plus contre des ennemis lointains (russes, chinois)
mais contre lui-même. Il est tout entier absorbé par
la question de son propre fonctionnement. L'Education nationale
est elle-même sans cesse davantage préoccupée
par sa propre organisation, ses procédures de validation,
son encadrement des personnels (qui, lassés par les vexations
et les abandons successifs peuvent devenir très méchants),
ses fiches projets, ses protocoles que par ses ennemis traditionnels
(l'ignorance, l'échec scolaire, la violence)
4) M le dit et le redit : on se bat contre des ombres. La fumée,
la nuit, le "fog" envahissent le film. Nous-mêmes,
nous sommes pas mal dans le brouillard. Le bon sens tend à
devenir la chose la moins partagée dans la maison. Nous errons
de décisions arbitraires en solutions incongrues. L'euphémisation
bureaucratique sert alors de fumigène. Nous avançons
obscurs, à travers l'ombre, dans la nuit solitaire comme
dirait la double hypallage virgilienne (je tente de remonter le
niveau culturel).
5) Skyfall ne cesse d'insister sur le délétère
effet "chef du MI6". On aura compris... Qui n'a pas pensé
qu'en envoyant une grande partie de la hiérarchie de l'Education
nationale se promener dans les landes écossaises, on serait
plus peinards, peut-être même plus performants et efficaces
? Le film se termine par une note d'espoir : un nouveau chef peut
être prometteur et avoir le bras cassé.
6) Comme nous, Bond subit une sévère baisse de son
pouvoir d'achat . Il passe son temps à siroter de la bière
et délaisse Martini et Bollinger. En ce qui nous concerne,
nous trouvons que le café de la machine atteint des prix
exorbitants.
7) La James Bond girl est vite consommée, vite expédiée.
20 % des professeurs se disent en plein burn out. La libido docendi,
comme la libido tout court, est en berne en salle des profs.
8) La Premier ministre passe un terrible savon à la patronne
du MI6. Le passage est sans doute inspiré du recadrage de
Vincent Peillon par Jean-Marc Ayrault à propos de la dépénalisation
du cannabis. "Boys with toys" comme disait la James Bond
girl dans Goldeneye.
9) Le générique du film est pas mal mais sans plus.
Nous, on a eu la chronobiologie et la morale laïque. C'était
encore moins sexy. Et sans musique.
10) La refondation du MI6 passe par l'explosion. Réjouissons-nous
de notre modération.
11) Les profs de France ne reçoivent pas un chien en faïence
de la part du Ministre. C'est une bonne chose. Savourons notre chance.
12) Le cyanure délivré aux agents ne fonctionne pas.
Sur le site dédié aux enseignants et à leur
carrière (i-prof), il est impossible de cliquer sur "démission"
(c'est pourtant proposé). Le lien est rompu ou inactif.
Bref, comme le chante si bien Adèle, " This is the end,
Hold your breath and count to ten (i.e compétences), Feel
the earth move and then, Hear my heart burst again". Haut les
coeurs !