Un roman de Nancy Huston, romancière canadienne, vivant à Paris, et qui écrit dans les deux langues (français et anglais).

 

 
Dieu nous invite à partager un des meilleurs souvenirs vécus par ses "créatures", les humains. Il nous fait donc partager l’intimité d’un repas de Thanksgiving chez Sean Farrell, poète et universitaire, atteint d’un cancer du poumon, qui a invité ses amis et collègues, ses anciennes maîtresses ainsi que leurs conjoints respectifs. Tous sont des écorchés vifs que la vie n’a pas épargnés : l’une a un fils atteint d’une tumeur, les autres ont récemment perdu un enfant, ou ont un fils en prison, ou encore souffrent d’anorexie et du rejet de leur fille...

Je n'y connais pas grand chose en littérature, je ne suis pas capable d'analyser un style, ni d'apprécier les subtilités d'un récit... mais voilà, ce roman m'a touché, transporté, au point que j'ai traîné le plus possible à la fin, pour être encore dedans un peu plus longtemps.

Nancy Huston parle de la vie, de la mort, de la nostalgie, du bonheur, de nos histoires dérisoires. Et Dieu dans tout ça ? Il surveille, parfaitement inhumain, et raconte comment il mettra fin à ces existences.

Bien sûr, ce n'est pas précisément un roman très joyeux...

"...C'était quand, se demande Sean, les vraies expériences ? Quand est-ce qu'on a vraiment vécu notre vie, au lieu de la voir comme une source possible d'écriture, une répétition générale, le faible écho ou la pâle photocopie ou les restes rancies de la Chose même ? Où est passé la vie ? Comment nous a-t-elle échappé ?..."

"... C'est une petite ville dans l'Ouest de la Pennsylvanie, elle a treize ans, elle se tient debout dans le cimetière et son père à ses côtés lui serre le coude de sa main ferme, la soutient littéralement; pour l'instant, ils écoutent la prière du pasteur mais bientôt il va falloir approcher de la tombe, c'est à eux d'aller les premiers, puis les autres parents et amis suivront, ils défileront devant la tombe de sa mère au rythme de la musique d'orgue qu'ils viennent d'entendre à l'église, s'arrêtant un à un devant son cercueil et se penchant pour y déposer des fleurs, Katie sent le moment approcher, elle comprend par le ton du pasteur que son prêche est sur le point de prendre fin, et puis, après un bref silence, le moment est venu, elle marche vers la tombe, les fleurs à la main, tant qu'elle a les fleurs dans sa main sa mère ne sera pas complètement morte, mais maintenant elle se penche, sa main se tend en avant et, alors qu'elle respire le parfum des fleurs et voit danser leurs couleurs à travers ses larmes, l'impossible se produit : ses mains lâchent les fleurs, le geste est doux et silencieux mais impossible à faire durer, et une fois les fleurs lâchées il faut qu'elle se redresse, recule d'un pas, s'éloigne de la tombe, oui, c'est ce qu'elle fait maintenant, tandis que son père lui serre le coude plus fortement encore, elle a fait un pas, deux, trois : sa mère est morte.
..."

C'est un mercredi, je suis à Paris, entre Bastille et la place du Châtelet, avec un ami. On se parle de bouquins qu'on vient de lire, et mon ami évoque Dolce Agonia, qui l'a ému, très fort. Une librairie se présente, on rentre, il me l'offre. En ressortant, au bout de quelques pas, je lui parle d'un autre roman, également conseillé par un autre ami, les vivants et les morts, de Gérard Mordillat. Retour à la librairie, je lui offre.

La dédicace du livre de Nancy Huston est étonnante, en regard de cet échange :

à mes amis
les vivants et les morts

 

J'ai lu Dolce Agonia, sans doute sur les conseils de la même personne (qui refuse toujours d'admettre qu'il a des actions non pas en bourse mais en librairie, homme sage) et ce fut également un plaisir. Je n'écris pas, mais j'aimerais... et j'aimerais avoir eu l'idée de penser à dieu comme narrateur, à ce jeu qui consiste à faire en sorte que tu t'attaches à un personnage et deux secondes après tu apprends qu'il va lui arriver des trucs affreux. ça m'a rappelé le passage d'un livre de Stephen King (et là, direct cash, je perds 200 mille points de crédibilité, si j'en ai jamais eu, mais j'assume ... ce type dans les années 80 -depuis j'ai décroché- m'a plus appris sur l'Amérique profonde que toutes les sommes de BHL et autres American Vertigo) : le narrateur y décrivait simplement un samedi après midi d'automne comme les autres, en banlieue, un père et son fils de 4 ans en train de jouer sur la pelouse, des détails insignifiants qui vous font sentir que vous y êtes sur cette pelouse, que vous les voyez jouer et vous souriez ... et ce salaud de King finit le paragraphe par un truc du genre "et dire que dans moins de huit jours Gage (le fils) serait mort". Je me souviens de la sensation d'avoir pris un coup de poing dans l'estomac et le réflexe de me dire "enfoiré d'écrivain, tu m'as bien eu". Dolce Agonia joue sur ce registre sans le côté je vous ai bien eu, donnant au récit un côté doux amer et fataliste qui colle bien à l'époque des bobos intellos désabusés. Le côté bobo des protagonistes (pas un reproche, juste une constatation) m'a d'ailleurs un peu empêché d'être en empathie avec eux, mais lecture très agréable quand même.

Marie-Ange O.

 

Quelle provocation !
Le coup de coeur sur Nancy Huston !
J'ai adoré Dolce Agonia. Je n'ai pas le temps de t'écrire une bafouille dessus, ce n'est pas le meilleur, prends Lignes de faille.

Marie-Christine M.

 

De quoi peuvent bien parler douze personnes réunies autour d’une table pour Thanksgiving ? On s’en fiche, en fait. Ce qui compte c’est leur réalité passée mise en regard de leur présent. Qui les a réunis là ? Pourquoi ? A quoi rime cette réunion ? C’est de leurs vies passées et futures dont il est question.
Intimement décortiquées avec cette cruauté délicieuse comme N. Huston sait le faire. Des tranches de vies emmêlées, croisées, nombreuses. Peut-être trop par moment. C’est selon.
De toute façon, ils mourront tous, comme nous d’ailleurs, tout est dit dès le départ, et on en apprend donc le détail.
Nous sommes tous spectateurs ou comédiens, de notre vie ou de celle des autres.
M’a rappelé « Continents à la dérive » de Russel Banks sur cette impossible maîtrise du devenir. Macbeth aussi ?
V. Hugo : « Mais quand lecteur tu me dis : "Parle-moi de toi.". Tu veux que je te parle de toi, en fait ? »

Marie-Christine M.