Clôture de l'amour

de Pascal Rambert

avec Audrey Bonnet et Stanislas Nordey

 

Deux blocs de nerf, d'énergie, de mots retenus pour mieux les lâcher… Ils ne sont que deux à entrer en scène et il n'y en a qu'un qui parle, qui assomme l'autre avec ses mots, il lui dit que c'est fini, que leur histoire c'était du vent, de la fiction. L'acteur (Stanislas Nordey) détache bien les mots, il fait bouger ses bras d'un air accusateur, cela dure, dure, on a compris qu'elle, l'autre, la femme ne répondra pas. Enfin, pas tout de suite. Il crache ce qu'il a à dire, ce qu'il a sur le cœur, après un quart d'heure il lui dit qu'il n'en est qu'au début, et c'est terrible pour elle, la femme, petite silhouette toute fine, qui encaisse les mots comme des coups, sans presque aucun jeu, traits impassibles, mais le corps qui s'affaisse, doucement. C'est une épreuve pour elle, de recevoir tous ces reproches, tous ses reproches, c'est une épreuve pour nous aussi, parfois on comprend ce qu'il dit, parfois on est avec lui mais seulement parfois. Le reste du temps, presque tout le temps, on est avec elle. Son jeu à lui est tendu à l'extrême, sec, dur, voix forte et un peu monocorde. On est presque obligé de choisir, lui ou elle. Le donneur de coups, de leçons, qui assène ses vérités, ou la victime, celle qui se fait enfoncer, abattre, tuer à petit feu.
Comment ne pas être avec elle ?
D'autant plus que ses mots à lui, parfois on les perd, on n'y est plus. Est-ce le jeu, ou l'écriture, ou notre propre réception qui est en cause ?

 

 

Et puis il y a comme une interruption dans sa logorrhée, une sorte de pause, et c'est à elle.
Elle répond.
Sa voix au début est sourde, grave, basse, elle vient de loin. On la sait anéantie. On le sait parce qu'on a vu son corps s'éteindre, se recroqueviller, se révolter en vain, accepter la défaite. Alors quand elle parle à son tour, on se dit qu'elle ne tiendra pas le choc. Elle est trop pliée, trop blessée. Et puis si, sa voix se déploie, ses mots à elle s'enchaînent, répondent à ceux de l'homme, rebondissent, se bousculent et là encore, on est avec elle. Ce que fait l'actrice (Audrey Bonnet) est hallucinant. On peut parfois, à propos de certains comédiens, parler de force et de fragilité mêlées et de l'émotion qui s'en dégage… ici c'est cela, exactement cela, la force et la fragilité ensemble, et cette union est démultipliée. Sa colère et ses réponses sont énormes mais il n'y a pas que cela. Il y a encore chez elle de la nostalgie, elle dit vouloir garder des moments de l'histoire d'amour passée, de l'histoire d'amour passé, et c'est bouleversant. Elle dit ses blessures ou ses indifférences face à tout ce qu'elle a entendu, face à tout ce qu'il a déversé pendant qu'il parlait. Elle paraît alors intensément plus vivante que lui, bien plus nuancée. Ce n'est pas seulement le personnage et ce qui est écrit, c'est aussi le jeu, les hésitations, les brisures dans la voix et dans les gestes, les élans encore, les élans avortés, les rires ou les pleurs. Lui, à la même place qu'elle tout à l'heure lorsqu'elle écoutait, lui reçoit les mots. C'est à son tour d'encaisser et ça fait mal aussi. Lui aussi est défait, découpé, mis en pièces, remis devant ses paroles sans qu'il puisse intervenir. Le langage du corps ici n'est pas équivoque, il prend tout de plein fouet et c'est lui qui souffre maintenant.
L'issue est un peu étrange, sans doute symbolique, superflue. On a compris avant ce drôle d'épilogue que ces deux-là se sont aimés, y ont cru, à leur amour. Mais c'est fini, c'est inéluctable. La rupture est là. Irréparable.
Ce ne sont pas tout à fait deux monologues d'une heure chacun, c'est bien plus que cela, c'est un véritable dialogue, entre des mots et un corps, puis on échange…
Spectacle doublement singulier, écrit pour ces acteurs-là. On voudrait laisser un long silence lorsqu'ils se taisent, puis applaudir pendant une heure.
Mais on sort du théâtre, on marche un peu dans la ville pour respirer, pour reprendre son souffle. La vie recommence, suit son cours. Comment est-ce possible…