Et
puis il y a comme une interruption dans sa logorrhée, une
sorte de pause, et c'est à elle.
Elle répond.
Sa voix au début est sourde, grave, basse, elle vient de
loin. On la sait anéantie. On le sait parce qu'on a vu son
corps s'éteindre, se recroqueviller, se révolter en
vain, accepter la défaite. Alors quand elle parle à
son tour, on se dit qu'elle ne tiendra pas le choc. Elle est trop
pliée, trop blessée. Et puis si, sa voix se déploie,
ses mots à elle s'enchaînent, répondent à
ceux de l'homme, rebondissent, se bousculent et là encore,
on est avec elle. Ce que fait l'actrice (Audrey Bonnet) est hallucinant.
On peut parfois, à propos de certains comédiens, parler
de force et de fragilité mêlées et de l'émotion
qui s'en dégage… ici c'est cela, exactement cela, la
force et la fragilité ensemble, et cette union est démultipliée.
Sa colère et ses réponses sont énormes mais
il n'y a pas que cela. Il y a encore chez elle de la nostalgie,
elle dit vouloir garder des moments de l'histoire d'amour passée,
de l'histoire d'amour passé, et c'est bouleversant. Elle
dit ses blessures ou ses indifférences face à tout
ce qu'elle a entendu, face à tout ce qu'il a déversé
pendant qu'il parlait. Elle paraît alors intensément
plus vivante que lui, bien plus nuancée. Ce n'est pas seulement
le personnage et ce qui est écrit, c'est aussi le jeu, les
hésitations, les brisures dans la voix et dans les gestes,
les élans encore, les élans avortés, les rires
ou les pleurs. Lui, à la même place qu'elle tout à
l'heure lorsqu'elle écoutait, lui reçoit les mots.
C'est à son tour d'encaisser et ça fait mal aussi.
Lui aussi est défait, découpé, mis en pièces,
remis devant ses paroles sans qu'il puisse intervenir. Le langage
du corps ici n'est pas équivoque, il prend tout de plein
fouet et c'est lui qui souffre maintenant.
L'issue est un peu étrange, sans doute symbolique, superflue.
On a compris avant ce drôle d'épilogue que ces deux-là
se sont aimés, y ont cru, à leur amour. Mais c'est
fini, c'est inéluctable. La rupture est là. Irréparable.
Ce ne sont pas tout à fait deux monologues d'une heure chacun,
c'est bien plus que cela, c'est un véritable dialogue, entre
des mots et un corps, puis on échange…
Spectacle doublement singulier, écrit pour ces acteurs-là.
On voudrait laisser un long silence lorsqu'ils se taisent, puis
applaudir pendant une heure.
Mais on sort du théâtre, on marche un peu dans la ville
pour respirer, pour reprendre son souffle. La vie recommence, suit
son cours. Comment est-ce possible…